plaidoyer

Note explicative sur l’opportunité de ratification des amendements de Kampala au Statut de Rome par la République démocratique du Congo « Plaidoyer »

1. Rappel du contexte

À Kampala, en Ouganda, les États parties au statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale (CPI) se sont réunis du 31 mai au 11 juin 2010  pour la première conférence de révision du Statut de Rome de la CPI, 9 ans après l’entrée en vigueur dudit Statut en vue d’apporter quelques amendements à ce statut en vertu des dispositions de l’article 123, paragraphe 1er. L’un des points sur lesquels ces amendements ont porté se rapporte au crime d’agression, défini comme :

La planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies.

Au regard de ses particularités liées d’une part aux personnes susceptibles de le commettre, et d’autre part au préalable de sa cristallisation comme fait internationalement illicite de l’État, outre la ratification, ce crime recommande l’adoption des mesures internes pour son opérationnalisation.

Cette note ne vise pas une réflexion large sur le mécanisme de mise en œuvre de ce crime, mais elle s’appesantit plutôt sur le cas particulier de la République démocratique du Congo, pays confronté à des violations massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire depuis plus de trois décennies. Ces violations se sont exacerbées ces dernières années du fait de la présence des forces armées étrangères sur le territoire congolais en soutien aux forces rebelles. Dans ce sens, plusieurs rapports des organisations internationales œuvrant dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales, dont l’organisation des Nations Unies, reconnaissent et dénoncent constamment l’implication des armées de pays voisins à la RDC à savoir le Rwanda et dans certaine mesure l’Ouganda.1 Des telles violations soulèvent la question de l’opportunité de ratifier les amendements de Kampala relatifs aux crimes d’agression. En tant que partie État au statut de Rome, la RDC est résolument engagée à lutter contre l’impunité des auteurs de ces violations qui portent atteinte à la communauté internationale dans son ensemble. Le crime d’agression fait partie de principaux crimes internationaux susceptibles d’entrainer des actions judiciaires à l’encontre des personnes qui s’y adonnent. Cependant, quelques préalables sont requis pour concrétiser des poursuites de présumés auteurs de ce crime. L’un d’entre eux, le plus important, c’est la ratification par l’État partie de ces amendements, tandis que l’autre concerne l’adoption, en droit interne, de lois de mises en œuvre. À ce jour, malgré sa participation à la conférence de Kampala et de l’agression dont elle est victime, la RDC n’a pas encore ratifié les amendements de Kampala ce qui exclut la possibilité que la CPI puisse enquêter et poursuivre certains crimes internationaux s’ils avaient lieu sur le territoire congolais. Cela justifie cette réflexion sur l’opportunité pour ce pays de procéder à cette ratification.

1 Il s’agit notamment d’un rapport récent des experts de l’ONU accuse l’armée rwandaise de fournir un soutien direct au groupe rebelle M23. Ce rapport mentionne que le Rwanda a équipé et renforcé le M23, contribuant ainsi à des attaques contre les forces armées de la République Démocratique du Congo (RDC) et facilitant la prise de territoires stratégiques dans l’est du pays (Radio Okapi)​​ (VOA Afrique).

2. État de ratification des amendements

Sur un total de 121 États parties au statut de Rome, seulement 45 ont ratifié les amendements relatifs au crime d’agression.

3. Opportunité pour la RDC de ratifier les amendements

En vertu du droit international, chaque État est libre de s’engager ou non à un traité. Si la RDC est citée comme le pays qui a permis au statut de Rome d’entrer en vigueur en déposant le 60 -ème instrument de ratification, il en est autrement des amendements de Kampala. Bien que présente à la conférence de révision, la RDC n’a pas encore ratifié les amendements adoptés à l’issue de cette conférence. Cette réticence pour la RDC de donner effet à ces amendements rend les poursuites des potentiels auteurs du crime d’agression impossibles. Pourtant la fonction dissuasive et préventive du droit pénal aurait pu produire des effets sur les conflits qui sévissent dans la partie orientale de la RDC. Conflits dans lesquels les autorités des États voisins, desquelles les forces armées présentes sur le territoire congolais répondent, pourraient engager leur responsabilité, ou à tout le moins se rendre à l’évidence qu’elles risquent un jour d’en répondre. C’est pourquoi, il est non seulement opportun, mais aussi nécessaire pour la RDC, en tant qu’État partie au Statut de Rome de prendre des mesures nationales efficaces pour ratifier et mettre en œuvre les amendements issus de la conférence de Kampala, car en l’état actuel de sa législation, la CPI ne peut pas poursuivre, ni enquêter sur ce crime en se fondant sur le Statut de Rome.

Si en 2019, la question de l’opportunité de la ratification des amendements au statut de Rome pouvait être relativisée, à ce jour marqué par la présence documentée des armées étrangères au soutien des forces rebelles sur le territoire congolais, il est plus qu’opportun que ces amendements entrent en vigueur pour la RDC. Il est aussi souhaitable que cette ratification avec lois de mise en œuvre du Statut de Rome permette aux juridictions congolaises d’exercer leur compétence et que la CPI n’intervienne que comme juridiction complémentaire. C’est autant dire régler la question des immunités dont pourraient se prévaloir les hauts responsables présumés auteurs de crime d’agression devant les juges internes.

4. Le processus de ratification d’un traité par l’état.

Signature du traité: Les États ont d’abord la possibilité de signer le traité, indiquant leur intention de l’examiner et de le considérer pour la ratification ultérieure. La signature ne lie pas encore l’État aux obligations du traité.

Ratification: Après la signature, l’État procède à la ratification du traité conformément à ses propres procédures constitutionnelles ou législatives internes. Cela peut impliquer un vote parlementaire ou toute autre procédure prévue par la Constitution.

Dépôt de l’instrument de ratification: Une fois que l’État a complété le processus de ratification, il dépose l’instrument de ratification auprès du dépositaire du traité.

Entrée en vigueur: Pour que le traité entre en vigueur à l’égard de l’État, il faut généralement un certain nombre de ratifications.

Adhésion: L’État qui n’a pas signé le traité a également la possibilité de l’adhérer ultérieurement. L’adhésion suit un processus similaire à la ratification, mais elle s’applique après l’entrée en vigueur du traité.

5. Point sur la ratification d’un traité par la RDC

L’article 213 de la constitution prévoit que le Président de la République négocie, ratifie les traités internationaux et les soumet à l’approbation du Parlement. Cette approbation parlementaire est nécessaire pour que le traité soit ratifié et entre en vigueur pour la RDC. Cependant, le Président de la République peut désigner et déléguer son pouvoir de ratification à une autorité de son choix. Ce dernier doit être investi de ce pouvoir par une lettre lui conférant le plein pouvoir. Le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères sont de droits détenteurs du plein pouvoir car leurs fonctions leur permettent d’agir au nom et pour le compte de l’État et par ce fait d’engager ce dernier dans une procédure internationale. Tout comme dans les us et coutumes parlementaires congolais, un parlementaire peut initier une proposition de loi portant autorisation au Gouvernement de ratifier un Traité international.

6. Entrée en vigueur du crime d’agression

Le crime d’agression est déjà entré en vigueur. Cela s’est concrétisé avec l’adoption de l’amendement relatif au crime d’agression lors de la Réunion de révision du Statut de Rome en 2010. Cet amendement est entré en vigueur le 17 juillet 2018, rendant le crime d’agression passible de poursuites devant la Cour pénale internationale. Toutefois, la RDC n’a pas encore ratifié les amendements adoptés à l’issue de la conférence de Kampala. Cette réticence pour la RDC de donner effet à ces amendements rend les poursuites des potentiels auteurs du crime d’agression impossibles. Pourtant la fonction dissuasive et préventive du droit pénal aurait pu produire des effets sur les conflits qui sévissent dans la partie orientale de la RDC. Conflits dans lesquels les autorités des États voisins, desquelles les forces armées présentes sur le territoire congolais répondent, pourraient engager leur responsabilité, ou à tout le moins se rendre à l’évidence qu’elles risquent un jour d’en répondre. C’est pourquoi, il est non seulement opportun, mais aussi nécessaire pour la RDC, en tant qu’État partie au Statut de Rome de prendre des mesures nationales efficaces pour ratifier et mettre en œuvre les amendements issus de la conférence de Kampala, car en l’état actuel de sa législation, la CPI ne peut pas poursuivre, ni enquêter sur ce crime en se fondant sur le Statut de Rome.

le 17 juillet 2024

Fait à Kinshasa et en Ituri,

Eloi URWODHI Cordonateur UCIBA

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